La France ne donne aujourd'hui naissance qu'à peu de projets
d'envergure. Autant l'admettre, c'est même devenu une rareté. Encore méconnu du
grand public, DONTNOD fait partie de ces quelques sociétés hexagonales qui ont
les reins suffisamment solides pour assumer la conception de jeux très
ambitieux. Avec l'aide de l'éditeur Capcom, qui a remplacé Sony au cours du
développement, la société française sortira dans un mois son premier AAA, le
bien nommé Remember Me. Un titre en compagnie duquel nous avons récemment pu
passer de longues heures. De quoi se faire une petite idée de la qualité finale
de la production de DONTNOD.
Une narration au cœur de l'expérience
Néo-Paris. 2084. La société a fortement évolué depuis le
début du XXIe siècle. Les souvenirs sont dorénavant au cœur de toutes les
préoccupations. Ils peuvent être numérisés, échangés, commercialisés, voire
même effacés. Le tout, grâce à une technologie créée et vendue par la toute
puissante société Memorize. Contrairement à une large majorité de la
population, les erroristes s'opposent avec virulence à la direction prise par
la société. Nilin est l'un d'entre eux. Sa capacité à altérer la perception
qu'une personne a d'un souvenir est précieuse pour ce groupe de
révolutionnaires. Le souci, c'est qu'au début du jeu, la jolie métisse végète
en prison à cause d'agissements dont on ignore la nature. Toujours est-il
qu'elle est condamnée à voir ses souvenirs effacés. Une fois cette terrible
sanction appliquée, la personne chargée de vérifier si la mémoire de Nilin est
vierge se rend compte que la prisonnière se souvient encore de son prénom. Un
bug qui va permettre à cette dernière de se faire la malle grâce à une
mystérieuse voix lui indiquant la manière à employer pour s'évader. Le début
d'une longue quête d'identité pour l'héroïne qui ne se souvient plus de rien.
DONTNOD ne s'en cache pas, Remember Me renferme une aventure
totalement linéaire. Il faut dire que le studio pouvait difficilement
envisager une approche plus ouverte en raison du risque que cela aurait
représenté. Après tout, la société joue forcément une partie de son avenir sur
ce premier jet ambitieux. Les concepteurs du jeu conservent ainsi en permanence
la main sur la manière dont se déroulent les événements. La décision nous
semble sensée, bien qu'en contrepartie, on se sente parfois à l'étroit dans ce
long couloir narratif. Pour autant, de ce que l'on en a vu, le scénario
apparaît bien écrit et on se pose rapidement de multiples questions sur Nilin
et l'univers qui l'entoure. Après tout, n'est-elle pas réellement une
terroriste ? Qu'a-t-elle fait pour atterrir en prison ? Etait-ce un
abus du pouvoir en place ou une décision juste ? Et puis, qui est cette
voix qui nous a aidé à sortir de prison ? Autant d'interrogations avec
lesquelles les scénaristes jouent en permanence. L'astuce de l'héroïne
amnésique est certes éculée mais elle a au moins le mérite d'être efficace. Et
elle est ici justifiée par une histoire tournant autour de la mémoire, des
souvenirs. Partir de zéro permet au joueur de découvrir en même temps que Nilin
le monde dans lequel elle évolue.
Un univers foisonnant et passionnant
Les phases de memory remix amènent un peu d'originalité au
gameplay.
Ce que l'on avait remarqué d'emblée avec les quelques
artworks, screenshots et autres vidéos parus sur le site, c'est que Remember Me
possède une direction artistique forte. Un constat confirmé dès les premières
minutes passées sur le jeu. Et cela va au-delà de la large palette de couleurs
employée qui confère à chaque tableau une énergie folle, et cela vaut également
pour le look travaillé de Nilin et des ennemis. C'est tout l'aspect visuel qui
force l'admiration. On se doit notamment de saluer le boulot fourni pour donner
naissance à ce Paris futuriste si crédible. La ville conserve ce côté
authentique tout en révélant un nombre incalculable d'éléments la projetant en
2084. A commencer par l'omniprésence de la réalité augmentée et de gigantesques
buildings faisant passer la Tour Eiffel pour un minuscule bâtonnet. Çà et là,
on reconnaît d'ailleurs des monuments de la capitale comme l'Arc de triomphe.
Nilin passe également par les différents endroits connus de Paris, tous
réinterprétés pour l'occasion. On pense en particulier au quartier de
Saint-Michel, situé dans la zone réservée à la classe moyenne. Beaucoup plus
verticale qu'à notre époque, la ville réserve ses tours bardées de technologie
aux gens de la haute, tandis que les plus pauvres habitent à l'autre extrémité,
dans des endroits beaucoup moins développés.Chaque quartier regorge en tout cas
de détails sur lesquels on s'attarde volontiers. Qu'il s'agisse d'inscriptions
sur les murs, de publicités (à caractère politique ou commercial), d'affichages
divers en réalité augmentée, de devantures de boutiques ou encore, d'éléments
architecturaux. L'univers de Remember Me s'avère être d'une richesse
incroyable.
La direction artistique est remarquable.
Utilisant le moteur Unreal, Remember Me profite d'effets
visuels réussis. Les jeux avec les éclairages sont notamment très plaisants.
Cela dit, l'ensemble n'est pas non plus incroyable d'un point de vue technique.
Le résultat est finalement assez standard pour ce type de titres. C'est du
moins ce que nous laisse à penser la version PS3 que nous avons pu essayer. Un
point qui ne gâche toutefois en rien l'immersion. Car en plus de la
direction artistique, la musique - signée Olivier Derivière - fait également
partie des atouts du jeu. Elle se montre extrêmement dynamique et accompagne
ainsi à la perfection chacune de nos actions. Tant et si bien qu'elle
semble être en perpétuel mouvement. Par moments, elle se met aussi à décrocher.
Cela s'accompagne de glitchs visuels symbolisant le fait que Nilin sème la pagaille
dans l'ordre établi. Le sound desing n'est pas en reste et contribue lui aussi
à crédibiliser cet univers.
Une formule classique renfermant des mécaniques innovantes
Le personnage de Nilin n'hésite pas à utiliser la manière
forte.
Pour ce qui concerne le gameplay, la formule semble en
apparence assez ordinaire. Lorsque l'on sort des phases de dialogues, des
cut-scenes et autres séquences servant la narration, on se retrouve à
progresser le plus simplement du monde dans un long couloir. DONTNOD a pris le
parti de toujours montrer aux joueurs l'endroit vers lequel se diriger. Les
indicateurs sont même souvent très proches les uns des autres. Ce qui renforce
l'impression parfois assez désagréable d'être tenu par la main. On ne s'y
attendait pas vraiment mais Remember Me propose de nombreuses phases de
plates-formes. A la manière d'Assassin's Creed dont le jeu semble parfois
singer les animations, on grimpe un peu partout, on s'accroche à des corniches,
on saute de toit en toit. Tout cela se fait de manière fluide mais
cadrée. Par moments, la progression est stoppée par des énigmes toujours
parfaitement intégrées aux environnements. Suspendue par la main à une
excroissance murale très fine, Nilin doit passer au-dessus d'une publicité
composée de lamelles qui se retournent à intervalles réguliers pour dévoiler
une seconde publicité. Ce qui fait chuter la belle si elle passe à ce moment-là
au-dessus de l'affichage. Il faut alors trouver le bon timing pour franchir
l'obstacle. Plus tard, cette énigme revient à nouveau mais dans une version
plus complexe. Ceci n'est qu'un exemple parmi beaucoup d'autres. Le jeu propose
aussi de collecter pas mal d'items dont l'importance varie. Certains permettent
par exemple d'augmenter sa barre de vie. Utile ? Oui et non, dans la
mesure où des bornes de soins sont disséminées un peu partout dans les niveaux
et où chaque mort nous ramène à peine en arrière. Du moins, au niveau normal.
Le degré de difficulté maximal (il en existe trois) devrait en revanche
réserver plus de challenge. Quoi qu'il en soit, le côté exploration existe bien
et se révèle sympathique. Ceux qui aiment fouiller à fond les environnements
auront de quoi faire.
Difficile d'être discret dans un monde rempli de drones.
Bien évidemment, les combats sont aussi très nombreux et se
déclenchent de manière souvent trop mécaniques, ce qui pourrait conduire au
bout du compte à un sentiment de lassitude. A ce niveau, DONTNOD s'est en tout
cas clairement inspiré du système des jeux Batman signés Rocksteady. Il faut
dire que ce dernier est un modèle de dynamisme et d'accessibilité. La mécanique
est imparable. On se met très vite à réaliser des mouvements à la fois aériens
et efficaces. Bref, on se sent puissant. Mais là où le studio français a été
malin, c'est qu'il a décidé de faire parler son désir d'originalité au niveau
des combos. Le système est particulièrement difficile à expliquer mais
relativement simple à comprendre en réalité. Au fur et à mesure des
affrontements, Nilin accumule des points d'expérience. Ces derniers
servent à débloquer des Pressens. Ces Pressens représentent les effets des
attaques de l'héroïne. Ils se rangent en quatre catégories : ceux qui
permettent de faire des dégâts, ceux qui régénèrent la santé, ceux qui
réduisent le temps de recharge des coups spéciaux et ceux qui boostent les
dommages lorsqu'ils sont placés en fin de chaîne. Il existe en effet quatre
chaînes de combos prédéterminées calculées de manière à ce qu'elles ne soient
pas trop complexes à retenir (seuls deux boutons sont utilisés). Elles
comportent un certain nombre de coups – qui gonflent au fur et à mesure de
l'aventure – et ce sont sur ces derniers que l'on va greffer des
Pressens. Cela signifie que l'on choisit l'effet qu'a chaque mouvement
offensif de Nilin dans un combo. On peut alors opter pour une chaîne orientée
dégâts, une autre axée soins ou un mélange des deux effets. Selon
l'endroit où sont placés les Pressens, cela offre des options tactiques
différentes. On peut imaginer canceller un combo pour profiter des effets des premiers
coups - par exemple, regagner de la vie - avant d'embrayer sur un enchaînement
plus destructeur. Tactiquement, ce système affiche une évidente profondeur.
Pour que le combo soit complété de bout en bout, il faut imprimer le rythme
avec lequel les boutons doivent être appuyés. Cela devient vite une sorte de
mélodie que l'on répète à l'envi.
Le memory remix, ce moment de grâce
Le Paris du futur a pris de la hauteur.
On l'a mentionné plus haut, il existe en parallèle des coups
spéciaux - cinq pour être précis - qui s'obtiennent au fur et à mesure de la
progression dans l'aventure. Le premier d'entre eux inflige des dégâts de plus
en plus importants à mesure qu'un enchaînement se prolonge alors que le second
permet de sonner tous les adversaires présents à l'écran et de révéler ceux qui
sont invisibles. A cela vient s'ajouter plus tard une sorte de canon permettant
de décrocher les adversaires marchant sur les murs. Un outil de plus qu'il faut
impérativement apprendre à maîtriser. Sachez par ailleurs qu'en plus des
ennemis de base, on a droit à des boss assez charismatiques qui agissent selon
un schéma défini. Il faut évidemment le décrypter pour les vaincre. Impossible
de conclure cet aperçu sans parler de la mécanique du memory remix. Le point
d'orgue de notre partie. Elle n'intervient que rarement au cours de
l'aventure. Il faut pour qu'elle se déclenche que Nilin utilise son pouvoir, à
savoir rentrer dans la mémoire d'une personne pour modifier la perception que
cette dernière a d'un souvenir. Tout cela est scripté ! Concrètement, le
gameplay de ces séquences est assez simple. On est projeté au sein d'une scène
au sein de laquelle on peut à loisir avancer ou reculer. Un peu comme un
fantôme qui agirait sans que personne ne le voie, le but est de trouver les
moments pendant lesquels on peut interagir avec l'environnement. Un petit
glitch visuel indique la possibilité d'agir sur tel ou tel élément. Il suffit
alors d'appuyer sur un bouton pour que l'action soit effectuée. Il nous a par
exemple fallu dérégler les appareils d'un malade hospitalisé pour faire croire
à une jeune femme que le patient – un proche – était mort. On fait en sorte que
son masque à oxygène se décroche, on bidouille quelques machines censées
l'aider à rester en vie et le tour est joué. Du moins si l'on n'a pas commis
l'unique erreur possible qui conduit au décès de la personne abritant ce
souvenir. Si le cas se présente, il suffit de rembobiner et d'annuler son
action. Le but n'est pas de punir le joueur mais juste de lui montrer les conséquences
de ses actes. En réalité, il n'y a qu'une unique manière de parvenir au
bout de chaque memory remix. Un seul point d'entrée, un seul point de sortie
mais quelques leurres. Voilà qui ouvre en tout cas de sacrées perspectives en
termes de narration
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